23 Novembre 2015
Chaque année, des Occidentaux atteints de maladies diagnostiquées incurables par la biomédecine vont au bout du monde pour avoir recours à des guérisseurs spirites. Et parfois, des guérisons étonnantes se produisent. Qui sont ces guérisseurs qui opèrent à partir de leur foi ? Comment aborder ces pratiques qui, de notre point de vue, semblent surréalistes voire controversées ? Le documentaire "Les guérisseurs de la foi" résulte de dix années de recherche et d’expérience de terrain aux Philippines. Il nous invite à entrer dans l’univers riche de sens des guérisseurs spirites et à tenter de saisir les enjeux de leurs pratiques.
C’est une approche compréhensive qui nous est proposée pour aborder ce voyage au cœur d’une pratique thérapeutique surprenante. La chirurgie psychique a connu un franc succès dans les années 1960-1980 mais a aussi été l’objet de nombreuses controverses. Ceux qui la pratique s’inscrivent dans un univers traditionnel et cherchent, au travers de manipulations symboliques et énergétiques, à obtenir une amélioration, parfois des guérisons pour des personnes en souffrance dans leur santé. C’est en tous cas le point de vue de Jean-Dominique Michel [1], ethnologue et spécialiste en anthropologie médicale, réalisateur de ce documentaire tourné pour une grande part aux Philippines, seul pays chrétien d’Asie, où s’est développé un chamanisme teinté de christianisme et pratiqué avec ferveur. Chaque année, de nombreux malades condamnés par la médecine moderne vont à la rencontre de guérisseurs dans l’espoir d’une guérison "miraculeuse". C’est le cas d’Isabelle, chef d’entreprise française. Elle a fait le voyage aux Philippines avec son fils de seize ans atteint d’un cancer du péritoine (rare et foudroyant) lequel venait de subir de lourds traitements et une opération conséquente. Pour Isabelle et sa famille, l’issue des soins prodigués par le révérend Alex Orbito, l’un des guérisseurs philippins les plus célèbres et président du Cercle des guérisseurs philippins, a été favorable. Difficile de ne pas chercher à expliquer un succès là où l’impuissance du corps biomédical s’est exprimée. Tout au long de ce documentaire, des clés de lecture nous sont proposées pour tenter de saisir ce qui sous-tend cette pratique. Celle-ci implique une relation au monde et à l’univers postulant que le plan de réalité terrestre matériel n’est qu’un reflet de ce qui se passe dans d’autres ordres de réalité. Pour la révérende Nieves Lupas, la plupart des guérisseurs sont choisis par l’Esprit Saint comme ce fut le cas pour elle. Les autres, quant à eux, répondent à une vocation intérieure, mais dans tous les cas, il est question d’une conception où l’énergie de guérison est mobilisable.
"La chirurgie à mains nues"
" Traditionnellement ", la chirurgie est pratiquée dans des conditions d’hygiène très strictes, avec des instruments adaptés et des praticiens qui savent quel type d’intervention ils sont en train de réaliser. Les images que nous pouvons visionner nous laissent voir les mains du guérisseur entrer dans le corps du patient, sans anesthésie ni asepsie, et y travailler jusqu’à extraction, dans le premier cas, d’un caillot de sang, matérialisation de l’énergie négative de la maladie. Une fois l’opération terminée, la partie du corps soignée est nettoyée avec un coton imbibé d’eau, le tout ayant été béni à l’occasion d’un temps de prière et d’invocation avant la session de soins. Le témoignage d’une infirmière canadienne relatant l’absence de douleur au contact des mains du guérisseur plongées profondément dans son abdomen donnent une idée de l’effet "surréaliste" de ce type d’intervention mais aussi d’une démarche du côté du patient qui demande une petite dose de courage pour se laisser faire d’autant plus s’il n’est issus de cet univers. Les guérisseurs philippins considèrent qu’ils sont les instruments de l’énergie divine en action, guidés dans leurs interventions par une entité spirituelle. Celle-ci transite au travers de leur corps pour irradier ensuite dans le corps du patient. Une pratique traditionnelle qui fait ses preuves mais qui a du mal a être acceptée par la médecine classique. Comme le souligne Marika Verheijen collaboratrice d’Alex Orbito, "nos croyances sont mises à l’épreuve et on peut comprendre que les scientifiques aient du mal à admettre que cela existe, ne sachant pas comment ça fonctionne ".
Une grille de lecture adaptée
Vous l’aurez compris, nos repères du réel et notre système de croyances sont bien bousculés.
Outre le témoignage d’autres guérisseurs comme Placido Palitayan, des personnalités du corps scientifique s’expriment sur l’efficacité mesurée de cette pratique. Nous pouvons entendre le Professeur Roeland van Wijk, biophysicien à l’Université d’Utrecht mais aussi le professeur en médecine d’origine hollandaise Jan Van Hemmert qui a collecté des résultats obtenus à la suite de soins dispensés par Alex Orbito à travers le monde. En se limitant aux cas terminaux, il parvient à des résultats sidérants puisque ceux-ci sont de 80 % sur cinq ans. Roeland van Wijk s’exprime à propos du procès pour escroquerie intenté à l’encontre d’Alex Orbito en Italie. Selon lui, en termes de raisonnement, si les opérations pratiquées à mains nues produisent des résultats, il n’est pas opportun de parler d’escroquerie. Par contre, si les opérations sont réelles mais sans effets, elles pourraient être considérées comme telles. De ce fait, de son point de vue, la question de la réalité scientifique de ces opérations n’a pas de sens. Mais alors, quelles grilles de lecture possibles ? Voici deux pistes : "La première c’est que c’est un rituel symbolique de guérison, un peu comme un super effet placebo, dans une mise en scène réalisée pour impressionner l’esprit du patient (…) la seconde c’est de dire que ces guérisseurs, qui vivent dans une autre réalité que nous et travaillent sur d’autres bases que les nôtres, ont accès à des choses différentes de nous. Et que, même si on ne les comprend pas encore, ces opérations existent peut-être bel et bien en tant que telles, je dirais dans une autre dimension de la réalité [2]."
Chez nous aussi
Géraldine est une bruxelloise de 45 ans. Elle entend parler de la venue d’Alex Orbito presque par hasard. Atteinte de troubles nerveux causant une série de dysfonctionnements au niveau de sa santé et curieuse d’autres approches médicales que celles proposées par ici, elle décide de tenter l’expérience, bien qu’impressionnée par les images percutantes d’une opération psychique qu’elle a eu l’occasion de visionner sur le net. " Ma peur était grande et je n’étais pas certaine de lâcher le contrôle pour me laisser faire. La matinée a démarré par une méditation collective suivie d’une introduction expliquant le déroulement du rituel et la présentation de l’équipe des thérapeutes bénévoles chargés des "pré soins". Alex Orbito nous a ensuite invités à un moment d’union et de communion, rappelant que nous ne sommes pas seulement là pour nos maux physiques, mais aussi pour remettre le divin au cœur de nos vies. L’amour de soi, des autres ainsi que le pardon sont des "fils rouges" permettant de naviguer dans cette vie sans perdre de vue l’essentiel. J’y ai rencontré des adultes mais aussi des enfants et des personnes âgées. Certains venaient pour la première fois. D’autres ont été guéris mais reviennent pour "plonger au cœur du divin", comme ils disent. Une expérience percutante qui fait l’effet d’une décharge. Le résultat se vérifiera trois semaines après la séance… nous verrons ce qu’il sera pour moi. Mais quoiqu’il arrive, c’est une expérience saisissante qui laisse des traces psychiques et émotionnelles".
De tous temps et dans toutes les civilisations, l’humain s’est un jour tourné vers ce qui représente pour lui des forces supérieures, particulièrement quand il expérimente les limites de son propre pouvoir. Le mot de la fin revient à l’anthropologue médical Ilario Rossi de l’université de Lausanne : "Nous ne pouvons pas réduire la complexité de l’Humain et du cosmos à la seule mesure de ce que la science a à en dire. Au-delà, il reste bien des choses à explorer et à respecter".
Jamila Zekhnini
http://www.cbai.be/revuearticle/1060/