C'est avec émotion profonde que je laisse partir ces pages, pleines de l'âme de mon enfant ! Mais n'est-ce pas lui qui me trace toute l'étendue de mon devoir ? "Maman, dis-le à ceux qui pleurent ! Nous sommes vivants, nous ne vous avons pas quittés, nous vous aimons."
Tout est enfermé dans ces trois propositions qui viennent d'affirmer l'existence consciente, la présence et l'amour maintenus par-delà le tombeau. Ce n'est pas la mort qui sépare, mais l'indifférence. Et Madame Monnier, dont le nom ne figurera jamais de son vivant sur les nombreuses éditions postérieures (preuve que sa démarche était exempte de tout intérêt personnel) poursuit:
La mort ne peut rien contre un amour aussi spirituel actif et fort; je n'ai point senti de brisure dans notre tendresse, car jamais elle ne me fit défaut, même aux heures les plus déchirantes de ma douleur maternelle. Un jour, dans le silence de mon cœur, j'entendis sa voix me dire: "Maman, prend un crayon ... ne pense à rien... écris !" Et depuis lors ...les messages de l'au-delà me furent dictés quotidiennement "parce que, dit-il, comment pourrions-nous laisser dans l'obscurité les bien-aimés de la Terre ?"
Au coeur du spiritisme chrétien
Cette initiation dispensée dans le secret du cœur, par un maître de sagesse plus jeune que l'élève, est la fameuse "pédagogie inversée", dont parlait Gabriel Marcel à propos du rapport existant entre Marcelle de Jouvenel et son fils, Roland. Pour Madame Monnier, elle s'est poursuivie de 1918 à 1937. Elle n'en à tiré ni gloire ni profit, elle n'avait qu'un but: sauver de la désespérance ceux et celles qui étaient dans son cas. Mais, en plus de la consolation, son but était aussi l'enseignement mystique: il s'agissait d'exposer aux chrétiens des connaissances qu'ils avaient perdues. Pierre lui explique que sa mission, et celle des nombreux esprits qui, comme lui, reviennent pour instruire, tels de nouveaux apôtres, est une tentative de plus émanant de Dieu qui les inspire et les dirige vers la Terre. Et cela par la médiation du Christ: "Jésus, ce Maître qui nous aime, c'est Lui qui nous envoie."
Par l'intermédiaire de Madame Monnier des quantités de connaissances, jadis réservées à une élite spirituelle, ont été répandues dans tous les milieux. Sans publicité, ni propagande, cette œuvre s'est perpétuée d'elle-même jusqu'à nos jours. Avec elle une nouvelle forme de communication avec l'Au-delà prend son essor: la médiumnité à effets spirituels qui a ses caractères propres. Il s'agit d'écriture intuitive: le scripteur, qui est presque toujours une femme, entend une dictée intérieur et se borne à transcrire; il ne comprend le texte qu'à la relecture. Madame Monnier écrit ce que lui dicte la voix sans timbre. Elle opère seule, en plein jour, dans un recueillement absolu. Elle ne reçoit que son fils qui se tient à ses côtés et empêche les esprits errants de venir interférer. Elle ne pose pas de questions matérielles, et surtout pas de questions concernant l'avenir. Elle se met en prière avant toute communication, elle invoque Celui qui a les paroles de la vie éternelle: le Christ. Elle n'est pas en transe, elle reste parfaitement lucide. Si une personne de son entourage entre dans la pièce et lui demande un renseignement, elle le lui donne, puis se remet à écrire: le contact n'a pas été coupé. Elle écoute la voix qui parle dans le silence de son cœur à heure fixe et dans des lieux fixes.
La même discipline sera observée par Marcelle de Jouvenel, qui parcourra le même chemin et prendra la relève à la génération suivante. Elle aussi atteindra son fils par la voie mystique et rétablira le pont entre le Visible et l'Invisible, entre la Terre et le Ciel, en développant les facultés primordiales de l'âme: la clairvoyance et l'intuition.
Autour des années 1950, Marcelle de Jouvenel entreprit une recherche qui intéressa le chef de file de l'existentialisme chrétien: Gabriel Marcel, désireux d'intégrer dans le monde des philosophes ces phénomènes qu'ils voulaient ignorer.
Après les messages de Pierre Monnier, ceux de Roland de Jouvenel restituaient au christianisme son caractère d'heureuse nouvelle (évangile au sens étymologique), son sens de l'infini, sa dimension cosmique, métaphysique, totalisante; son amour pour le monde naturel, son aspiration à l'immortalité; sa portée ésotérique et initiatique; bref, toutes les valeurs occultées par les catholiques et les protestants au cours des siècles.