3 Décembre 2017
Etude sociologique assez détaillée du développement du spiritisme au Brésil
30 millions de personnes sont adeptes de la doctrine spirite du français Allan Kardec dans le monde ; 20
millions d’entre elles vivent au Brésil. Le spiritisme semble avoir trouvé dans ce pays, un terrain, une population et des conditions qui lui ont permis de se faire accepter et de se développer. Comment, pourquoi, le Brésil est-il devenu le plus grand pays spirite au monde ?
Par Laurence de Raphelis-Soissan
1857 : naissance en France du spiritisme kardéciste
S’il semble bien que la communication avec les esprits des morts soit aussi vieille que l’humanité, le spiritisme moderne, lui, a été élaboré par le français Allan Kardec, à partir de 1857.Né Hippolyte Léon Denizard Rivail en 1804, le futur Allan Kardec était un pédagogue renommé. En 1855, il expérimente des réunions de « tables parlantes », venant des Etats-Unis et très à la mode à l’époque. Il se passionne pour le sujet et se lance dans une étude sur le « monde des esprits ». C’est d’ailleurs au cours de l’une de ces réunions qu’un esprit lui révèle qu’il était druide dans une vie antérieure et qu’il portait le nom d’Allan Kardec. C’est sous ce patronyme qu’il signera son premier ouvrage majeur en 1857 : Le Livre des Esprits. Cet ouvrage, qui expose les bases de la doctrine spirite, est composé d’un recueil plus de mille questions posées aux Esprits qui enseignent sur la vie de l’au-delà.
Allan Kardec donnera au spiritisme cette définition : « Le Spiritisme est une Science qui traite de la nature, de l’origine et de la destinée des Esprits, et de leurs rapports avec le monde corporel ». Le spiritisme est donc une doctrine fondée sur l’existence, les manifestations et l’enseignement des esprits.
1860-1865 : la doctrine spirite de Kardec se répand au Brésil
Le spiritisme fait son apparition au Brésil en 1858, dans les classes bourgeoises, sous la forme des « tables parlantes », c’est-à-dire sous une forme de “curiosité de salon” et non sous la forme “religieuse” qu’il revêtirait aujourd’hui. Il a fallu, pour que cette « conversion » se produise, attendre les réflexions et la philosophie d’Allan Kardec. C’est l’élite sociale brésilienne (médecins, intellectuels, journalistes, politiques…), régulièrement en contact avec la production intellectuelle française, qui permettra au spiritisme de Kardec et à son Livre des Esprits d’arriver jusqu’au Brésil, en 1860.
Cette philosophie Kardéciste s’est répandue dans le pays à partir de 1865, d’abord à Bahia, puis à Rio. De Rio, la capitale de l’époque, le mouvement irradiera par la suite tout le Brésil. A partir de là, le Brésil voit apparaître une multitude de petits groupes, qui finissent par se rassembler pour donner naissance, en 1884, à la Federação Espírita Brasileira (Fédération Spirite Brésilienne).
Le développement du spiritisme et les classes sociales brésiliennes
Selon le sociologue et anthropologue français Roger Bastide, l’interprétation et la portée du spiritisme diffèreraient suivant les classes sociales :
Mais pour comprendre le développement du spiritisme, Roger Bastide explique qu’il faut le replacer dans l’histoire de la lutte entre les classes “moyenne” et “basse” :
Le spiritisme au Brésil : philosophie ou religion ?
Avant la proclamation de la République, en 1889, les spirites étaient la cible régulière d’attaques dans la presse, de plaintes de médecins et d’oppositions de l’église catholique. Et même si un article de la première charte républicaine, promulguée en 1891, prévoyait que “tous les individus et les confessions religieuses peuvent exercer librement leur culte”, le spiritisme n’entrait pas ce spectre.
En effet le Code Pénal, à la même époque, le considérait comme une pratique interdite, au même titre que la magie et ses sortilèges, l’utilisation de talismans ou la cartomancie. Crime au regard de la loi, il était puni de peines allant jusqu’à 6 mois de prison et 500 000 reais d’amende. Beaucoup de spirites ont d’ailleurs été arrêtés à partir de 1891, accusés « d’attenter à la santé publique ». Cette loi pénale (dont les effets se sont étendus jusque dans les années 60) qui associait le spiritisme aux rituels de magie et de divination reflétait avant tout la pression du clergé catholique jusque dans le milieu médical, en diffusant la peur de la propagation incontrôlée du charlantanisme.
Le caractère religieux du spiritisme n’était pas dans son origine, ni en France, ni au Brésil. Le présenter comme une religion fut une solution pour lui permettre d’acquérir une sécurité juridique, une légitimation sociale, essentiels à la pérennité de son existence sur le sol brésilien.
Les spirites aujourd’hui…
La Federação Espírita Brasileira, interrogée sur le profil des spirites, s’est montrée peu disserte. Sa prudence s’explique pour grande part par le fait que la dernière étude sur le sujet date de 2000 et que la prochaine est attendue pour la fin de cette année.
Tout au plus apprend-t-on que les spirites auraient plutôt un haut niveau d’études et que l’Etat de Rio de Janeiro serait le plus spirite du pays. Le spiritisme est en effet toujours resté un mouvement essentiellement urbain, ce qui explique qu’il toujours été plus important dans le sud du pays qui compte la plupart des grandes métropoles.
A la question de savoir comment évolue le nombre d’adeptes du spiritisme au Brésil, la Federação Espírita Brasileira explique qu’“il a crû ces dernières années grâce à son exposition dans les médias et à la quantité d’œuvres littéraires et cinématographiques, novelas comprises, qui s’y sont intéressé”.
Chico Xavier, l’homme qui a popularisé le spiritisme au Brésil
Si pour beaucoup de brésiliens, le spiritisme reste une doctrine méconnue, lointaine, il est un spirite, en revanche, qui parle à tous. Cet homme s’appelle Chico Xavier. Il est considéré comme le plus grand médium que le Brésil ait connu. La plupart des œuvres artistiques qui ont participé à la progression du spiritisme ces dernières années, lui sont d’ailleurs pour grande part consacrées. Au Brésil, Chico Xavier est devenu un mythe populaire. Il est né dans un milieu modeste en 1910 dans l’Etat du Minas Gerais et mort en 2002. Dès l’âge de cinq ans, suite au décès de sa mère, il commence à voir et entendre les esprits. Cette relation qu’il établira avec eux aboutira à l’écriture de plus de 400 œuvres (poèmes, romans, recueils de pensée…), dont il prétendra qu’elles lui ont toutes été dictées par les esprits. Les écrits de Chico Xavier se vendront à plus de 20 millions d’exemplaires, et ses droits d’auteurs seront intégralement reversés à des œuvres de charité. Il participera par ailleurs à de nombreux talk show à la télévision qui contribueront à la popularisation du spiritisme kardéciste.
En 1981, le Brésil le proposera officiellement comme candidat au Prix Nobel de la Paix. En 2000, il sera élu « Minéro du XXème siècle » suite à un sondage auprès de la population de l’Etat du Minas Gerais dont il était natif. En 2006, le magazine ÉPOCA lancera une enquête auprès de ses lecteurs pour élire le brésilien le plus important de l’histoire. Chico Xavier arrivera en tête du sondage, loin devant…Ayrton Senna et Pelé.
Source : http://www.lesbrasileiros.com/style-de-vie/spirites-etes-vous-la/
Spiritisme au Brésil : étude sociologique de Bastide Roger (16 pages)