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Amèle Debey, pour L'Impertinent: En tant que docteure en psychopathologie, qu’est-ce qui vous frappe le plus dans la situation que nous vivons depuis 18 mois?
Ariane Bilheran: La violence des décideurs sur les populations, le harcèlement exercé sur les populations, à tous les niveaux. Idéologie, manipulation de masse, violence économique, violence sur les corps, censure, atteintes à la liberté d’expression.
Un de vos domaines d’expertise est les déviances du pouvoir. Ce qui se passe en ce moment à de quoi nourrir votre réflexion?
Oui. Dès avril 2020, j’ai écrit un article appelé Totalitarisme sanitaire: «c’est pour ton bien»… Le mal radical. C’était encore un gros mot, on n’avait pas le droit d’en parler. Mais depuis, cela a fait son chemin. Après, j’ai éprouvé le besoin d’écrire un autre article en août que j’ai appelé Le moment paranoïaque, où j’ai trouvé l’expression de «déferlement totalitaire» qui, depuis, a bien circulé. Et puis, en décembre, je me suis exprimée sur Radio Canada à propos du totalitarisme actuel dont on voit la manifestation.
Grâce à mon expertise, j’en ai repéré les symptômes très tôt: dans le caractère idéologique, c’est-à-dire le fait de présenter comme une vérité une fiction mensongère tout en demandant l’adhésion de la population à cette fiction. Le passage à l’acte: les obligations de confinement, la suppression des droits les plus élémentaires; les paradoxes permanents.
«La souffrance engendrée sur les populations m’a frappée très tôt»
En Amérique du Sud par exemple, empêcher les gens d’aller travailler ne peut pas être dans l’intérêt de leur santé, parce que lorsqu’on n’a pas de source de revenus fruits de notre travail pendant plusieurs mois, et qu’on n’a pas d’aide, ce n'est à priori pas ce qui va nous mettre en bonne santé!
La souffrance engendrée sur les populations m’a frappée très tôt. De la même façon, il y a une notion qu’on appelle le clivage, en psychologie, qui consiste à diviser un collectif en deux populations irréductibles qui ne peuvent plus s’entendre entre elles. Car l’une étant sous perfusion idéologique. Elles ne peuvent plus communiquer.
J’ai travaillé pendant longtemps dans des organisations du travail. Quand elles devenaient pathogènes, créatrices de troubles psychosociaux au travail, j'en repérerais les mécanismes à différentes échelles. Que ce soient les manipulations émotionnelles, les contradictions, les mensonges, les paradoxes sur les discours, le fait de réduire la complexité du réel à un seul paradigme, à un seul paramètre, tout cela m’a paru quand même assez fou.
On voit que ce sont les pays les plus riches qui ont réagi de la façon la plus disproportionnée. N’étions-nous pas installés dans une sorte de confort?
Je ne sais pas si la première phrase est juste. Parce que la Colombie n’est pas un pays riche et nous avons eu six mois de confinement extrêmement sévère. Il y a eu beaucoup de pays pauvres où cela s’est également joué comme ça.
Par contre, dans les pays occidentaux, il y a eu beaucoup d’aides distribuées aux gens. Ils ont donc davantage eu l’impression que c’était pour leur bien cette affaire, puisqu’on les prenait en charge. Il y a donc eu moins de dissonances au départ sur ce point. La différence est sans doute là.
Certains pensent tout de même que ces mesures étaient tout à fait justifiées.
J’ai une seule question pour eux: on sait qu’en 2020, ne serait-ce que pour l’Amérique du Sud, les décisions politiques ont plongé dans la misère plus de 20 millions de gens. Près de 30 millions en 2021. Est-ce qu’on peut prendre soin de sa santé lorsqu’on est dans la pauvreté extrême? Est-ce vraiment justifié? Est-ce vraiment une politique tout à fait mesurée, équilibrée, qui prend en compte différents paramètres?
Est-ce que la docilité des gens vous a surprise?
Oui et non. D’abord, je pense que tous les peuples ne réagissent pas de la même façon par rapport à leur passé. Au niveau européen, il y a souvent une croyance naïve que les gouvernants sont là pour notre bien. Ce qui fait qu’il est très compliqué de remettre en question deux choses: les gouvernements ne nous veulent pas du bien, mais en plus ils nous veulent sciemment du mal.
Vous pensez vraiment que les gouvernements nous veulent sciemment du mal?
Peut-être pas tous. Mais je pense en effet que les décideurs à haut niveau et en particulier les soi-disant philanthropes qui, avec leurs milliards, auraient de quoi faire de la planète un paradis, nous veulent sciemment du mal.
Dans quel but?
A partir du moment où vous avez confisqué la majorité des richesses au détriment d’une plus grande population, cette population représente une menace pour vous.
C’est pourtant celle qui fait fonctionner le système, non? Ils ont forcément besoin de nous.
Dans quelle mesure ont-ils besoin de nous, je n’en sais rien. Ça ne me paraît pas évident. Nous sommes vus comme des pollueurs, des parasites. Je crois qu’à un moment donné, la question d’accumulation de richesses à un stade qu’on ne peut pas se représenter, ni vous, ni moi, fait tourner la tête si elle n’était déjà pas solide avant. Ça crée un gouffre incommensurable entre les pauvres et une toute petite minorité d’une classe extrêmement riche qui prétend dicter à la planète toutes sortes de choses. Et qui fait des gouvernants de simples exécutants.
On voit bien que si les gouvernements étaient autonomes, ce ne se serait pas passé comme ça. Or, la marche de manœuvre pendant la crise était assez réduite, puisque tout le monde a appliqué à peu près la même politique. Et pas dans l’intérêt des peuples.